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Juillet 2018

Les suites d’une blessure lors d’un transport sur une jument peuvent-elles engager la responsabilité de l’éleveur, ayant l’animal en pension, plus de 3 ans après l’accident ?

La cour d’appel de Caen (arrêt du 13 février 2018, N° RG : 15/04513) a eu la délicate mission de trancher cette question de responsabilité de l’éleveur, dépositaire d’équidés.

Une jument était confiée en pension dans un élevage dans le cadre d’un contrat dépôt salarié. L’éleveur, en vertu des dispositions des articles 1927 et suivants du code civil est tenu à une obligation de moyens. Il lui appartient, en cas de blessures ou de perte du cheval confié, de rapporter la preuve de son absence de faute pour que sa responsabilité ne soit pas retenue. Il peut notamment rapporter cette preuve en établissant qu’il a donné au cheval les mêmes soins qu’il aurait apporté à ses propres chevaux.

L’éleveur indique que la jument s’est blessée au cours d’un transport réalisé par ses soins alors qu’il la déplaçait vers un nouveau pâturage. Elle a passé le pied à travers le plancher du camion. L’éleveur indique que le transport s’est déroulé dans des conditions normales avec un véhicule adapté et que l’animal était équipé de protections de transport. Ces éléments n’étant pas suffisants pour démontrer son absence de faute, l’éleveur sera déclaré responsable de l’accident et de la blessure subie par la jument.

Trois années plus tard, la jument sera malheureusement euthanasiée en raison des séquelles de sa blessure dont elle ne s’est jamais remise. L’éleveur, s’il prouve qu’il a contacté le vétérinaire et informé le propriétaire dans un délai raisonnable, peut s’exonérer de sa responsabilité quant à la perte de l’animal.

En l’espèce, il n’indique pas précisément la date à laquelle il a informé le propriétaire de la blessure de sa jument. Le vétérinaire déclare qu’à la date du poulinage (27 avril 2009), il a constaté la blessure de la jument. Il précise que celle-ci portait un pansement au postérieur droit. Il atteste avoir vu, à plusieurs reprises, le propriétaire de la jument affairé à prodiguer des soins au niveau de la plaie de la jument sous forme d’emplâtre. La première consultation vétérinaire a été effectuée le 16 mai 2009. Quelques jours plus tard, le propriétaire a présenté sa jument dans une clinique spécialisée qui a réalisé différents soins et a procédé, le 08 juin 2009, au curetage de la plaie sous anesthésie générale.

Le retard pris à solliciter une consultation du vétérinaire est imputable tant à l’éleveur qu’au propriétaire. Le manquement de l’éleveur est d’autant plus important que la responsabilité de l’accident à l’origine de la blessure lui incombe.  De son côté, le propriétaire a tardé à contacter le vétérinaire après avoir lui-même diligenté des soins locaux.

Il ressort également de l’attestation d’une tierce personne que le propriétaire avait connaissance de la blessure le 1er mai 2009 et que, 8 jours plus tard, la plaie était déjà très infectée. La gravité de la blessure et le retard pris à prodiguer les soins sont à l’origine des soins très lourds que la jument a subi. Son pronostic vital étant réservé, elle a été maintenue en vie pour élever son jeune poulain de trois semaines. Le vétérinaire précise enfin que si la plaie initiale avait été traitée immédiatement, son évolution et l’arthrite infectieuse auraient été moins graves. Les fautes respectives du propriétaire et de l’éleveur donnent lieu à un partage de responsabilité : 80 % pour l’éleveur et 20 % pour le propriétaire. Le préjudice pour le propriétaire s’analyse en une perte de chance de faire naître d’autres poulains et de sauver sa jument.

La jument était destinée à une carrière de reproductrice, la perte de chance sera estimée à 50 % du préjudice. Le propriétaire est mal fondé à demander à la fois la valeur vénale de la jument et une indemnisation correspondant à la fin de sa carrière de poulinière (valeur des poulains à naître et leurs gains de courses).

Le préjudice sera évalué comme suit :

  • Les soins réalisés pour 2 819 € soit 80 % à la charge de l’éleveur (= 2 256 €)
  • Perte de la carrière de poulinière pour 18 000 € soit 80 % à la charge de l’éleveur (= 14 400 €)

Le préjudice total est de 16 656 € duquel il faut retrancher la perte de chance de 50 %. L’éleveur est donc condamné à indemniser le propriétaire à hauteur de 8 328 €.